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William Gibson introduit Google dans la création littéraire

Si jusqu’à maintenant le monde du livre a entretenu des rapports de méfiance avec les poids lourds du Web 2.0 que sont Google et Amazon, la question de leur possible utilité pour les auteurs et les éditeurs se pose plus que jamais. Pour une fois, les termes du débat ne proviennent pas d’institutions comme la Bibliothèque Nationale de France ou du Syndicat de National de l’Edition mais d’un écrivain américain populaire et à l’avant-garde des réflexions sur les technologies.

Code Source le nouveau roman de William Gibson est sorti, non sans attirer l’attention des geeks mais aussi des journalistes en mal de matière à penser le présent à l’aune des technologies futuristes. Ainsi, comme pour son précédent roman Identification des schémas où Gibson surfait sur un grand nombre de thématiques contemporaines (les marques, le marketing viral, la Russie ultime patrie des hackeurs, la plasticité des contenus avec un DivX au montage déstructuré etc.), la narration se nourrit d’une mosaïque de thèmes, un peu comme ces murs de photos produisant une image géante.

Quel rapport avec Google me demanderez-vous ? Eh bien Gibson ne s’est pas contenté de gloser sur les possibles applications de la géolocalisation comme grille surimposée au monde réel par opposition à la matrice du cyberespace. En sus de la mosaïque de thèmes, il a écrit avec en tête le système d’indexation de Google. Ce qui nous amène à ce délicieux néologisme qui fait le bonheur des critiques : la googlisation.

La googlisation, c’est l’intégration de l’existence du moteur de recherche comme voie royale pour être lu quand on blogue ou qu’on publie sur le Web. On écrit avec une liste de tags en tête, un titre accrocheur, autant pour le lecteur que pour le moteur de recherche. On utilise les mots et les sujets à la mode dans une course effrénée à la première position dans Google. Le but est d’être le premier à être consulté quand un internaute s’interroge sur un sujet, et entre les termes de sa recherche dans le moteur de Google.

Ainsi les rédactions en ligne sont-elles passées progressivement de l’autre côté du miroir, quand elles se sont préoccupées de rankings et de Google AdSense, d’abord pour augmenter leur popularité, ensuite pour dégager des revenus publicitaires. Un phénomène extrêmement contemporain et jusqu’ici spécifique au Web version 2.0. Dans un tel contexte, la démarche de William Gibson peut apparaître comme logique, voire suiviste (après les blogs, les romans !) à un détail près : les blogs et la presse en ligne sont numériques et prêts à être indexés par Google, les romans, eux, en sont loin.

Cela nous amène à dresser un état des lieux de l’indexation des livres dans Google aujourd’hui (c’est-à-dire avant que les livres ne soient couramment numérisés dans leur intégralité et consultables en ligne comme le propose… Google Book Search !). A l’heure actuelle, un livre est référencé sous forme numérique fragmentée :

  • un titre,
  • un auteur,
  • un prix,
  • un ISBN d’identification,
  • une 4e de couverture,
  • une notice de référencement pour librairies en ligne,
  • les critiques écrites sur le Net à son sujet

Tous ces éléments textuels épars et informations diverses sont autant de cailloux blancs lâchés/jetés pour que le lecteur trouve son chemin vers Amazon ou Fnac.com. Imaginons maintenant la multiplication de ces cailloux si le texte d’un roman de Proust était totalement indexé par Google. On entre Guermantes à tout hasard dans Google ou bien Vue de Delft et le résultat des recherches converge naturellement vers Proust. Bien sûr, la notoriété des écrits de Proust est telle qu’il n’est pas nécessaire d’indexer toute la Recherche pour obtenir ces résultats.

Dans le cas d’un jeune auteur nettement moins connu le gain ne serait-il pas énorme ? Une promotion de type virale de son œuvre. Si par exemple, un Allemand cherche des renseignements sur le lycée Ernst Bloch de Bonn, il y aura de fortes chances pour qu’il tombe sur le site du lycée et pas loin en dessous sur La fille sans qualités de la romancière Julie Zeh.

Allons plus loin dans le raisonnement. Imaginons un auteur en mal de publication mais qui aurait fait indexer son livre par Google. Il augmente sensiblement ses chances de notoriété. Tel Simenon déroulant ses polars sur fond d’ambiance liégeoise qui aurait mis l’un de ses livres en ligne avec un partenariat Adsense, il y a fort à parier que tout internaute en quête d’écrits sur Liège passerait d’une façon ou d’une autre par son site et potentiellement cliquerait sur les publicités de l’office du tourisme de Liège.

A présent, envisageons une position intermédiaire entre le type de données actuellement indexées sur un livre et l’indexation du texte intégral. Une bonne partie du contenu Web 2.0 pensé pour la googlisation s’appuie sur le système des tags. Comme pour ce blog, la spécification de tags pour chaque billet permet de toucher un lectorat qui ne connaît pas immateriel.fr mais qui s’intéresse aux mêmes sujets que nous. Pourquoi ne pas envisager pour chaque livre, non pas les tags un peu prévisibles de classification (roman, psychologie, aventure, sciences humaines, voyage etc…) mais des mots-clés, pensés par l’éditeur ou l’auteur, uniques en un sens car adaptés à un contenu unique. Ces tags constituent une nébuleuse de méta-données propre à ceux qui les choisissent, en quelque sorte, une grille de lecture sous la forme de mots, un index pensé pour le Web. L’avantage est principalement de faire connaître un contenu sans tout dévoiler.

D’ailleurs, si la démarche littéraire de William Gibson pose les jalons d’une réflexion sur l’indexation des contenus comme nouvelle étape de la diffusion du livre, il n’en demeure pas moins que Code Source n’est pas à l’heure actuelle intégralement indexé dans Google ; ne confondons tout de même pas fiction littéraire avec réalité contemporaine !

samuel@immateriel.fr


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