L’industrie du jeu vidéo est devenue en quelques années un des plus gros médias, dépassant même la musique. Pourtant de nouveaux défis se présentent, notamment vis-à-vis de l’Internet et particulièrement du piratage qui effraye, depuis longtemps déjà, la plupart des éditeurs. Cette nouvelle donne les conduit souvent à se tromper d’attitude.
Nous allons voir, en comparant les modèles de distribution et de protection contre la copie de deux « Blockbuster » du jeu vidéo, que ce problème n’en est pas vraiment un et qu’il n’empêche pas cette industrie de se porter au mieux.
Le premier, Call of duty 4, paru en novembre 2007 chez Activision, se présente comme le poids lourd du genre, avec un modèle de protection classique :
- protection contre la copie de CD,
- possibilité d’acheter le titre en téléchargement, mais uniquement sur des sites spécialisés (Direct2Drive par exemple) et avec DRM.
De l’autre côté, Sins of a solar empire (Stardock), paru en février 2008, repose sur un modèle novateur :
- aucune protection contre la copie,
- possibilité d’acheter le titre en téléchargement directement sur le site de l’éditeur, sans DRM.
Notons que ces deux titres n’appartiennent pas au même genre de jeux, et que leurs modes de développement divergent (grosse équipe pour le premier, petite équipe pour le second). Enfin, l’équipe de Sins of a solar empire s’inspire énormément de l’avis de ses clients pour améliorer progressivement le produit via l’utilisation de versions betas bien avant la sortie officielle. Nous allons néanmoins comparer leurs ventes (qui sont similaires) et leur taux de piratage respectif.
Quelques chiffres de vente
Tout d’abord, regardons du côté des ventes de boîtes DVD. Afin de comparer ce qui est comparable, reprenons seulement les chiffres des deux premiers mois après la mise en vente.
- Pour Call of duty 4 (uniquement sur PC), 383 000 copies pour novembre et décembre 2007.
- Pour Sins of a solar empire, 200 000 copies ont été vendues le premier mois.
Piratage
Intéressons-nous à présent au piratage, en reprenant ce calcul, où apparaît Call of duty 4. On peut voir qu’il serait téléchargé illégalement environ 9000 fois par jour sur l’un des principaux sites de téléchargement via BitTorrent : mininova. Ce qui est intéressant c’est que sur ce même site, Sins of a solar empire n’est disponible dans aucune version, exceptées les mises à jour du jeu que Stardock propose à ses clients.
Corsons un peu la recherche. Au lieu de se contenter de mininova, utilisons un meta-moteur de recherche de fichiers BitTorrent pour faire notre calcul. Torrentz fédère une dizaine d’autres moteurs. Si on recherche Call of duty 4, on trouve plus de 20 000 résultats (il y a de fortes chances que ce chiffre ait été encore plus élevé dans les premiers mois de sortie du titre). Pour Sins of a solar empire, on en trouve environ 400. Ce dernier est donc bel et bien piraté, mais comme on peut le constater, dans des proportions bien moindres !
Analyse
La question est : pourquoi une telle différence ? 50 fois moins de piratage pour le second titre, ça n’est pas rien. Comme vu au début, les ventes ne sont similaires que pour les versions boîte ; Stardock vend également une version électronique, téléchargeable sur leur site. Comme ils l’annoncent :
« Despite that most sales of Sins of a Solar Empire thus far have been through TotalGaming.net (direct digital download), Sins topped the charts last month at retail for PC games. »
Traduction :
« Bien que la plupart des ventes de Sins of a Solar Empire aient eu lieu jusqu’à maintenant via TotalGaming.net (téléchargement direct), Sins a été numéro un des ventes PC le mois dernier en magasin. »
Ce qui sous entend qu’ils vendent encore plus de versions électroniques que de versions boîte ! De là à dire que ces ventes correspondent au piratage de l’autre titre, il n’y a qu’un pas !
Le fait que Call of duty 4 soit la meilleure vente de jeu vidéo pour 2007 montre bien qu’il y a une forte demande pour celui-ci. Le nombre d’exemplaires piratés indique quant à lui qu’il y a une demande pour une version numérique sans protection. Malheureusement, il reste plus commode de récupérer la version numérique piraté que la version numérique légale, et même pire, que la version boîte ! Pourquoi payer pour un fichier qu’on ne peut pas copier, alors qu’on peut l’avoir gratuitement et copiable à volonté ? De même, pourquoi devoir mettre le DVD du jeu dans le lecteur à chaque utilisation, pour prouver qu’on est bien le client ? Je ne serai pas étonné que certains utilisateurs (qui ont acheté le jeu), passe par le piratage pour obtenir une version plus souple de leur produit (les fameux patch no cd) ! Le volume de ventes des versions numériques de Sins of a solar empire suggère en tout cas que le retrait des DRM n’empêche pas les clients de continuer à acheter leur produit.
Quoi qu’il en soit, être en mesure de proposer ses produits sur support dématérialisé prend une importance croissante avec la démocratisation de l’Internet, et miser sur la qualité de service et les avantages octroyés au client (mises à jour régulières et copie à volonté) est plus rentable que miser sur la punition censée lutter contre le piratage (protection anti-copie et DRM). Le manque à gagner supposément lié au piratage ne serait-il pas en réalité le fait des éditeurs eux-mêmes, qui correspondrait plutôt à une offre manquante ? Peut-on affirmer être volé de quelque chose que l’on ne vend pas ?
julien@immateriel.fr
Les patchs no-cd sont effectivement aussi populaire chez les clients que chez les pirates.
Deux commentaires sur cet article très intéressant :
1. Je pense qu’il est nécessaire pour une étude de ce type de prendre en compte la différence de notoriété entre les deux jeux. Si le niveau de vente des versions boîte est relativement similaire, l’attente et la notoriété de la marque COD joue clairement en (dé)faveur de celui-ci. Sur le nombre d’exemplaires piratés de COD4, combien seront réellement joués, un peu plus longuement qu’un simple essai ?
2. Entièrement d’accord avec la question des NOCD, je pense qu’aujourd’hui une grande partie des achats, en ligne ou en boite, ne sont destinés qu’à l’obtention d’une clé valide, à utiliser avec une image disque récupérée en ligne et bien plus souple d’utilisation.
@Benoit
Je suis d’accord, la renommée de COD joue en sa défaveur, je dirais même que c’est devenu une habitude pour ce genre de jeu, qui est bardé de protections, d’être piraté à grande échelle. A long terme, il sera plus dur pour ses éditeurs de faire machine arrière avec de nouvelle méthodes de distributions numériques (sans protection). Celles-ci devront être plus avantageuses pour les clients que celles proposées par le p2p.
Petit exemple, tous les jeux que j’ai acheté j’ai un « no cd / dvd » parce que :
1) mettre un CD / DVD à 50€ (voir plus) dans son lecteur de façon répété c’est le meilleur moyen de le rayer (voir pire)
2) attendre 5min pour lancer un jeu pour voir pour la 15e fois l’écran de chargement (du souvent aux protections) et les logos de sponsors / développeurs / éditeurs …
Je voudrais ajouter que les jeux qui se jouent beaucoup (voir uniquement) sur internet en multijoueur (comme COD 4) ne sont pas piratable puisque qu’ils exigent une clé valide et nécessaire à l’authentification à part si l’on utilise un serveur privé (rare mais ça existe beaucoup pour World Of Warcraft par exemple).
Peut-être que celui qui n’est pas beaucoup proposé au téléchargement et partagé entre ami par la copie de DVD et de ce fait limite l’offre et la demande de version piratées à télécharger ?
Je pense que ces réflexions se basent à tort sur le très court terme et que le piratage des jeux vidéo a une autre influence sur les ventes, en l’occurrence sur le long terme.
Ayant travaillé dans le milieu du développement de jeux vidéo pendant près de dix ans, les échos que j’ai pu avoir de la part des éditeurs concernant le piratage sont de deux sortes.
Tout d’abord, lorsqu’un titre est disponible en piratage avant la sortie du jeu (du fait d’une fuite interne depuis le développeur, l’éditeur ou le distributeur), cela risque d’avoir un impact négatif sur les ventes, d’autant que ces versions pirates sont à base de versions beta des jeu, les rendant moins stables et participant à la mauvaise opinion des joueurs. En effet, certains voyant les bugs des versions beta qui étaient destinées exclusivement à un usage interne et au déboguage, s’abstiennent de les acheter une fois parues dans le commerce. Cependant, personne n’est capable de mesurer et de quantifier cette hypothèse.
Ensuite, le phénomène du piratage se voit surtout sur le long terme. En effet, quand on compare le marché des jeux PC qui souffre énormément du piratage au marché des jeux consoles relativement épargné, on se rend compte que le marché PC est composé à quelque 95 % de ventes de titres récents, alors que les consoles vendent quelque 20 % de nouveautés à peine, 80 % des ventes seraient des jeux de plus de trois ou six mois. En d’autres termes, le piratage sur PC serait responsable d’un colossal manque à gagner qui se traduit sur le long terme. Ce discours n’est pas spécifique au PC qui tend à se déprécier rapidement avec le temps, car les mêmes chiffres étaient cités du temps des ordinateurs 8 ou 16 bits, dans les années 1980 et 1990.
« Le fait que Call of duty 4 soit la meilleure vente de jeu vidéo pour 2007 montre bien qu’il y a une forte demande pour celui-ci. Le nombre d’exemplaires piratés indique quant à lui qu’il y a une demande pour une version numérique sans protection. »
Heu non, tout ce que ca indique, au mieux, c’est qu’il y a une demande mais que les rapias préfèrent avoir le truc gratuitement que de le payer…
« Le manque à gagner supposément lié au piratage ne serait-il pas en réalité le fait des éditeurs eux-mêmes, qui correspondrait plutôt à une offre manquante ? »
Je ne suis pas tout a fait d’accord. Il y a effectivement manque pour à gagner les sociétés de production mais aussi une offre manquante qu’ils n’arrive pas a contenter.
Ce manque à gagner qui est normalement une pure perte est bien utilise de la part de Stardock, car la part de piratage de son jeu (sins of a solar empire) est en fait un investissement en communication, pourquoi dépenser des millions en pub sur tout les médias, alors qu’un jeu sans DRM vas être copie et testé par des millions de joueur via internet gratuitement.